Inde

La lecture à la portée d’un milliard de personnes : le sous-titrage dans la même langue à la télévision

Planet Read

Profil du pays

Population : 1 103 371 000 (2005)
Population sous le seuil de pauvreté national : 28,6 % (1999)
Nombre d’internautes pour 1000 habitants : 16 (2002)
Nombre de foyers équipés d’un téléviseur : 32 % (2002)
Nombre de foyers équipés d’une radio : 35 % (2002)

Contexte

Selon le recensement de 2001, le taux d’alphabétisation en Inde à cette période était de 65,4 %. Officiellement, la population âgée de sept ans et plus comprenait 562 millions de personnes alphabétisées et 296 millions d’analphabètes. Mais que signifie réellement un taux d’alphabétisation de 65,4 % ? Est-ce que 65,4 % de la population âgée de plus de 7 ans sait « lire et écrire en comprenant » au moins un passage simple ? Pas du tout. On sait parfaitement qu’une grande partie est en fait « nouvellement alphabétisée ». Il s’agit de personnes classées comme « alphabétisées » dans le recensement mais qui ne peuvent, par exemple, lire et comprendre un passage simple dans un journal. D’après nos propres recherches nous estimons que 25 % de la population est en fait opérationnellement « alphabétisée » (ou possède un meilleur niveau) et que 40 % est nouvellement alphabétisée. En chiffres, l’Inde compte au moins 350 millions de personnes nouvellement alphabétisées, dont la moitié vit dans les États où l’on parle hindi mais beaucoup aussi dans les États d’Andhra Pradesh et d’Orissa.

Bien que les politiques nationales soient promptes à étiqueter une personne comme étant « alphabétisée », les mesures mises en place pour permettre aux analphabètes de devenir « alphabétisés » réussissent, au mieux, à les aider à atteindre un premier niveau d’alphabétisation. Cependant, le défi consiste à faire en sorte que les personnes nouvellement alphabétisées restent assez motivées et impliquées dans des activités susceptibles d’assurer un lien avec l’écrit qui dure toute leur vie. L’érosion des compétences, la baisse de niveau et l’utilisation inefficace des ressources sont énormes car beaucoup de personnes nouvellement alphabétisées n’atteignent jamais un niveau de lecture opérationnel. La promotion de la lecture sur toute une vie, au-delà du stade d’alphabétisation précoce, est un élément nécessaire à toute solution à long terme contre l’analphabétisme.

Programme

Le sous-titrage dans la même langue (Same Language Subtitling - SLS) est une idée simple, qui consiste à sous-titrer les clips vidéos et les chansons de films à la télévision dans la même langue que celle utilisée pour la bande son. Ce que vous entendez est ce que vous lisez et chacun des mots sous-titrés est éclairé en parfaite synchronisation avec la bande son.

L’innovation du SLS est un exemple de la manière dont des éléments existants, utilisés précédemment à des fins autres que l’alphabétisation, ont été combinés pour proposer un outil puissant de promotion de la lecture sur une très grande échelle et sur la durée d’une vie. Avant 1996, lorsque le SLS a été proposé pour la première fois, il était avant tout utilisé pour la traduction, afin de proposer des sous-titres aux malentendants, pour les karaokés privés ou semi-privés - que certaines personnes alphabétisées pouvaient s’offrir -, pour les divertissements télévisés de masse, les informations et les spectacles de Bollywood. Le projet de SLS combinait expressément ces éléments afin de fournir une possibilité de pratique de la lecture sur les écrans de télévision des gens chez eux. On n’attendait pas d‘eux qu’ils changent leurs habitudes mais du jour au lendemain, la lecture est devenue un élément automatique et inconscient du divertissement de masse.

« Le sous-titrage dans la même langue a connu des débuts inespérés. En 1996, alors que je terminais ma thèse de doctorat en éducation à l’université de Cornell, certains d’entre nous regardaient un film espagnol avec des sous-titres en anglais. Étant étudiant en espagnol j’ai fait le commentaire suivant : « Si seulement ils avaient inséré des sous-titres en espagnol pour les dialogues, on aurait pu approfondir encore plus nos connaissances de l’espagnol ». Puis j’ai fait une autre remarque : « S’ils inséraient des sous-titres en hindi aux chansons hindi, l’Inde pourrait devenir un pays alphabétisé ! ». Six mois plus tard, j’ai eu la possibilité de transformer cette idée en un projet de recherche lorsque j’ai intégré l’Institut indien de management à Ahmedabad ».

Brij Kothari, Président, PlanetRead

Groupe qui chante des texts de chansons copies des sous-titres TV

Entre 1996 et 1997, beaucoup d’informations ont été recueillies dans les villages, les gares, les stations de bus et les bidonvilles pour savoir si les gens préféraient regarder les chansons de Bollywood avec ou sans SLS. Dès le début, il a été clair que les téléspectateurs préféraient les chansons avec SLS, principalement parce qu’elles leur permettaient de chanter et d’apprendre les paroles en même temps. En 1998, cette enquête a été suivie d’une étude expérimentale - menée auprès d’élèves d’une école primaire issus de classes modestes - au cours de laquelle l’exposition au SLS a été contrôlée de manière très rigoureuse. En moyenne, les compétences en lecture des enfants soumis à une projection régulière de SLS - trois sessions de 30 minutes par semaine pendant trois mois - ont plus progressé que celles des élèves moins, ou pas du tout, exposés au SLS.
En 1999, le SLS fut instauré pour la première fois à la télévision d’État du Gujarat, ajouté à une émission hebdomadaire populaire de chansons de films gujaratis d’une durée de 30 minutes. Au bout de six mois, les compétences en lecture du groupe exposé régulièrement au SLS s’étaient améliorées de manière beaucoup plus significative que celles d’un groupe-témoin non soumis à la même pratique. En 2002-2003, le projet de SLS a obtenu une bourse du Development Marketplace (Banque mondiale) qui a permis de le mettre en place dans « Chitrahaar », une émission de chansons de films hindi diffusée dans tout le pays. En 2002, en nous appuyant sur un échantillon de 13 000 personnes provenant de quatre États parlant l’hindi et du Gujarat, nous avons établi une base de données des compétences en lecture. Une première étude d’impact a été menée un an plus tard sur le même échantillon de population et avec les mêmes procédures de tests.

Depuis 2003, le SLS a été mis en place dans « Rangoli », une autre émission de chansons de films en hindi diffusée à l’échelle nationale. De janvier 2006 à janvier 2007, le SLS a été mis en place dans 10 autres émissions, dans le même nombre de langues et avec l’aide de la fondation Google. Une deuxième étude d’impact de grande envergure a été menée en avril 2007, presque cinq ans après le premier lancement du SLS en hindi à la télévision nationale.

Leçons apprises

Le SLS contribue de manière significative et quantifiable à l’amélioration des compétences en lecture chez les adultes et les enfants.

Le SLS contribue essentiellement :

De plus, le SLS dynamise les taux de popularité et de succès des émissions de 10 à 15 %.

Le sous-titrage d’une émission télévisée hebdomadaire de 30 minutes coûte environ $ 20 000 par an. Actuellement, le SLS bénéficie d’un budget annuel de $ 200 000, qui est utilisé pour fournir à environ 200 millions de personnes nouvellement alphabétisées des pratiques de lecture hebdomadaires dans 10 langues indiennes. Le coût moyen par personne et par an est de $US 0,001. En d’autres termes, chaque dollar investi dans le SLS permet une pratique de la lectureà 1000 personnes par an en Inde.

L’antenne qui diffuse la lecture dans 600 000 villages

La motivation des apprenants à lire avec des chansons est inhérente à la passion des gens pour les chansons de Bollywood et repose sur leur envie d’apprendre les paroles. Les recherches ont prouvé que, lorsque le SLS est disponible, il est lu par toute personne qui a acquis au moins quelques rudiments d’alphabétisation précoce. La frustration des apprenants, parmi les personnes nouvellement alphabétisées, ne disparaît pas pour autant aisément en lisant les paroles d’une chanson. La « réponse » à cette incapacité à lire assez rapidement est toujours fournie par la bande son, par la connaissance de la chanson ou par la mémoire des personnes. Ainsi, le SLS des chansons permet aux lecteurs qui veulent s’en donner la peine de vivre un moment de succès au cours de leur expérience de lecture.

Bien que les besoins de financement du SLS soient minimes, en comparaison de ce que cela apporte à l’échelle nationale, il n’a pas encore réussi à passer de l’état de projet à celui de politique. Bien qu’ayant reçu des financements à court terme de la Banque mondiale, de la fondation Google et du gouvernement d’Inde, ils ne représentent pas une source de financement stable. De ce fait, le projet lui même n’a pas connu de perspective d’évolution au-delà d’une année.

Le projet SLS a besoin de recevoir l’appui des décideurs et des leaders des agences nationales qui travaillent en faveur de l’alphabétisation. Malgré le nombre élevé de preuves amassées par des recherches indépendantes et par nos propres études, beaucoup ont du mal à accepter qu’un haut niveau d’alphabétisation puisse s’obtenir grâce à un changement apparemment aussi insignifiant.

Sur le plan politique en Inde, depuis deux ans, le groupe de diffusion de l’Inde (Broadcasting Corporation of India - Prasar Bharati) et le diffuseur d’État (State Broadcaster - Doordarshan) ont fait preuve d’un grand intérêt pour améliorer leur service de SLS dans toutes les langues. L’un des défis majeur consiste à établir une source financière viable, de préférence de la part du gouvernement, par l’intermédiaire du ministére de l’Éducation. Jusqu’à ce que cette aide soit fournie, le SLS continuera à dépendre de financements provenant de fondations et d’entreprises.

Le SLS peut également contribuer de manière significative au développement de la lecture pendant toute la vie dans d’autres pays – partout où les clips vidéos sont populaires à la télévision et où les compétences en lecture sont basses. PlanetRead 1 a été créé en 2004 pour faire la promotion du SLS dans d’autres pays, particulièrement en Afrique et en Asie du Sud (Kothari, 2007).

Contact :

Brij Kothari
President de Planet Read
26 Manor Drive,
Piedmont
CA 94611
USA
www.planetread.org
brij@planteread.org

Références

Kothari, Brij (1998). Film Songs as Continuing Education : Same Language Subtitling for Literacy. In : Economic and Political Weekly, 33(39) :2507-2510 (Sept. 26, 98).

Kothari, Brij, Avinash Pandey, and Amita Chudgar (2004). Reading Out of the “Idiot Box” : Same-Language Subtitling on Television in India. In : Information Technologies and International Development, vol. 2(1) : 23-44.

Kothari, Brij, Joe Takeda, Ashok Joshi, and Avinash Pandey (2002). Same Language Subtitling : A Butterfly for Literacy? In : International Journal of Lifelong Education, 21(1) : 55-66.

Kothari, Brij, Tathagata Bandyopadhyay, Vinod Ahuja and Debanjan Bhattacharjee (2007). Same Language Subtitling on TV : Impact on Basic Reading Development among Children and Adults. Rapport non publié..

Kothari, Brij (2007). Same Language Subtitling on TV in Africa : A Concept. Note (disponible sur demande ).

1Planet Read est une organisation exonérée d’impôts à but non lucratif. Elle est enregistrée aux États-Unis et fonctionne de manière indépendante en Inde. Voir : www.planetread.org ; Contact : info@planetread.org