Présentation du programme
Titre | Programme intégré d’alphabétisation fonctionnelle et de formation technique des producteurs |
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Organisation chargée de la mise en œuvre | Société de Développement et des Fibres Textiles (SODEFITEX) |
Langues d’enseignement | Pulaar, mandingue et wolof |
Date de création | 2003 |
Partenaires | Bamtaare Services, filiale de la SODEFITEX chargée de l’alphabétisation en langues nationales ; Fédération nationale des producteurs de coton (FNPC), membre du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) ; ministère de l’Éducation de base et des langues nationales, Direction de la formation professionnelle et technique, inspections de l’enseignement |
Financement | SODEFITEX (autofinancement) |
Coût annuel | 72 000 000 FCFA (127 069 dollars) |
Coût annuel par apprenant | 250 000 FCFA (441 dollars) (de 2016 à 2019) |
Historique et contexte
Au Sénégal, le développement du secteur éducatif s’appuie sur un plan stratégique de l’éducation, le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence de l’éducation et de la formation (PAQUET–EF, 2018–2030). Pour réaliser les objectifs de ce plan, le gouvernement a consenti des efforts énormes visant à étendre et à améliorer son système éducatif. Le PAQUET–EF comporte huit domaines prioritaires1, dont l’éducation de base, la formation professionnelle et technique et l’amélioration de la qualité des enseignements et apprentissages..
Source : Institut de statistique de l'UNESCO (UIS)
La Figure 1 présente une tendance positive à la hausse des taux d’alphabétisme chez les Sénégalais ayant 15 ans révolus, avec un taux annuel moyen de 13,28%. Toutefois, pour comprendre les priorités actuelles de ce sous-secteur en matière d’éducation, il importe de comprendre les raisons de la baisse vertigineuse du taux d’alphabétisme de 2011 à 2013, qui a conduit à l’élaboration du Plan sectoriel de l’éducation 2013–2025. Les objectifs annuels d'enrôlement n’avaient jamais été atteints pour plusieurs raisons (République du Sénégal, 2013). Il s’agit, premièrement, du retrait progressif des partenaires clés et la réduction conséquente des financements. Deuxièmement, l’insuffisance des financements n’a jamais permis de mobiliser des ressources pour le sous-secteur non formel ni pour les besoins du sous-secteur de l’alphabétisation. En effet, seuls 91 apprenants adultes ont été enrôlés en 2011, contre une cible initiale de 7 144 inscriptions. Troisièmement, il n’existait aucun indicateur explicite pour mesurer la qualité des programmes d’éducation de base des jeunes et des adultes. L’absence de système de reconnaissance et de validation, la faible mise en œuvre de la politique éducative et la mauvaise qualité des mécanismes de coordination de la gouvernance semblent avoir aggravé la situation. Cette analyse a débouché sur la formulation de stratégies clés pour ce sous-secteur dans le cadre du PAQUET-EF (2013) : diversifier et optimiser les offres éducatives de haute qualité, former et renforcer les capacités des éducateurs et, enfin, intégrer les compétences de base et les compétences de la vie courante à l’éducation citoyenne et à l’apprentissage tout au long de la vie. De même, l’accent a été mis sur l’amélioration des stratégies de financement et de la gouvernance (République du Sénégal, 2013).
Des progrès constants sont enregistrés depuis 2013, comme le montre la Figure 1, grâce notamment à une augmentation des taux d’achèvement du cycle primaire, qui passent de 34,7% en 2012 à 39,5% en 2015. Concernant l’enseignement secondaire général, le taux global de fréquentation se situait à 43,06% en 2015. Fait tout aussi notable, le pourcentage d’écoliers diplômés qui passent à l’enseignement supérieur est passé de 98% en 2013 à 100% en 2015. Ces chiffres semblent indiquer une baisse du stock2 d’enfants ayant dépassé l’âge scolaire non encore alphabétisés et, par conséquent, celle du nombre de bénéficiaires potentiels des programmes d’alphabétisation des jeunes et des adultes.
Néanmoins, le système comporte encore des manquements qui continuent de préoccuper. Par exemple, la réussite scolaire reste insatisfaisante à tous les niveaux (PAQUET–EF, 2018), en particulier en termes d’efficacité interne – c’est-à-dire de réalisation des objectifs d’apprentissage et des taux d’admission aux examens du moyen secondaire. De plus, en 2017, le nombre de jeunes et d’adultes âgés de 15 ans révolus n’ayant pas le niveau de base en lecture et écriture était beaucoup plus élevé chez les femmes que chez les hommes (voir Figure 1). Mingat et al. (2013) soutiennent que même si la proportion de jeunes et d’adultes n’ayant pas le niveau d’alphabétisme de base semble avoir baissé ces dernières années, la croissance démographique du Sénégal fait que leur nombre augmente.
Pour surmonter les défis susmentionnés, 17 organisations partenaires ont adopté le PAQUET-EF mis à jour, qui ambitionne d’offrir des opportunités d’éducation de qualité et d’apprentissage tout au long de la vie à tous. Dans ce plan, le Gouvernement du Sénégal fait de l’éducation et de la formation un secteur prioritaire pour le développement du capital humain, qui constitue le deuxième axe du programme national de développement du Sénégal, le Plan Sénégal Émergent (PSE). Ce choix a une conséquence positive directe sur l’augmentation des opportunités d’emplois pour les jeunes et les adultes. Le taux de chômage a connu une forte hausse au Sénégal, et se situait à 19% au premier trimestre de 20193. 3
Le secteur agricole est le plus grand pourvoyeur d’emplois pour la population active sénégalaise. Malgré cela, le problème de déficit vivrier et d’insécurité nutritionnelle continue de prévaloir dans beaucoup de parties du pays (PAM, 2018). Pour le résoudre, il est important d’aider les producteurs à accroître leur productivité en les dotant de connaissances et de compétences avancées en matière d’agriculture durable et de commercialisation. Dans ce contexte, l’alphabétisme constitue une compétence de base essentielle qui facilitera grandement le processus de formation des producteurs. Il y a un besoin pressant à proposer des programmes éducatifs intégrés qui répondent aux besoins des apprenants adultes en matière d’alphabétisation, mais aussi les dotent de compétences entrepreneuriales, agricoles, techniques et autres.
C’est dans ce contexte que la SODEFITEX a initié son Programme intégré d’alphabétisation fonctionnelle et de formation technique (PIAFFT), qui apporte alphabétisme de base et compétences techniques pour améliorer la productivité agricole et la qualité de la vie des producteurs.
Présentation du programme
En 1982, la SODEFITEX4 a initié un programme d’alphabétisation fonctionnelle face aux taux de scolarisation particulièrement faibles dans les zones rurales du Sénégal oriental et de Casamance, au sud, à travers BAMTAARE Services SA, une filiale de la société. Adoptant une approche innovante et participative, ce programme fait intervenir divers acteurs, dont l'État, les organisations de producteurs, les projets et/ou programmes de développement, les particuliers et autres institutions. L’action de BAMTAARE Services SA s’inscrit dans le cadre des plans de renforcement des services de développement rural d’appui à la nouvelle économie rurale. En 2003, l’organisation lancera le PIAFFT et ses premiers cours d’alphabétisation en langues nationales destinés à promouvoir la professionnalisation des groupements de producteurs.
Entre autres, l’offre de services du PIAFFT inclut l’alphabétisation, la formation technique, l’encadrement pour les nouveaux métiers ruraux, le développement rural, le développement des cultures céréalière et oléagineuse, le conseil rural et la production de semences certifiées. BAMTAARE Services intervient dans trois domaines principaux : renforcement des capacités, encadrement agro-industriel à travers le conseil et recherche-développement.
Renforcement des capacités: La mise en œuvre de nouveaux modèles de production exige des producteurs mieux formés pour assurer une production de haute qualité et une meilleure productivité de leurs exploitations, mais aussi une bonne rentabilité de leurs emprunts et autres investissements agricoles. Ce domaine d’intervention vise l’amélioration des compétences à travers l’alphabétisation fonctionnelle, la communication rurale, la structuration et la professionnalisation des différents acteurs ruraux et le renforcement des capacités de leadership. BAMTAARE Services SA se compose d’un coordinateur, de superviseurs et d’alphabétiseurs qui s’appuient sur 40 ans d’expérience dans le domaine pour produire divers supports d’enseignement et d’apprentissage de bonne qualité.
Encadrement agro-industriel à travers le conseil: Ce domaine d’intervention a pour objectif principal d’apporter conseil et appui techniques en matière de structuration et de gestion des exploitations familiales, mais aussi d’enseigner les techniques de production. L’entreprise fournit des services de conseil agricole, des intrants et du matériel à des milliers d’exploitations familiales afin de garantir une productivité optimale.
Recherche-développement: Les activités principales de ce domaine d’intervention consistent à piloter l’ensemble des études de projet et à rédiger les offres de services de BAMTAARE. Il inclut, en outre, d’autres activités comme l’exécution d’études thématiques telles que les études sectorielles, les enquêtes socio-économiques et les plans d’actions.
En 2019, le PIAFFT de BAMTAARE Services intervenait dans les régions de Kolda, Tambacounda, Kédougou, Sédhiou, Kaffrine, Kaolack et Fatick, situées dans la moitié sud du Sénégal. Chaque année, plus de 100 apprenants s’inscrivent au programme d’alphabétisation.
Buts et objectifs
Le PIAFFT se donne pour objectif de promouvoir le développement social et économique durable des communautés agricoles rurales du Sénégal. En particulier, il vise à :
- relever le niveau de base des producteurs en écriture, lecture et calcul dans leur langue maternelle et dans des langues nationales telles que le pulaar, le wolof et le mandingue à travers des cours d’alphabétisation fonctionnelle ;
- doter les producteurs de compétences techniques, de connaissances et d’outils modernes leur permettant d’optimiser leur productivité agricole à travers des cours de formation professionnelle ;
- créer un environnement alphabétisé leur permettant de mettre en application les connaissances nouvellement acquises ;
- accroître la contribution des exploitations agricoles familiales à la réalisation de la souveraineté alimentaire du Sénégal ;
- accompagner la professionnalisation des différents acteurs et de leurs groupements à travers des formations reconnues et des diplômes officiels.
Groupe cible
Le programme est destiné aux personnes âgées de 15 ans révolus, en particulier aux jeunes qui ont abandonné les études ou qui n’ont jamais accédé au système éducatif formel. Il cible les membres des exploitations agricoles familiales (pratiquant généralement la polyculture ou l’élevage), les organisations professionnelles paysannes et d’autres entités agricoles travaillant dans la zone d’intervention de la SODEFITEX. Le programme apporte également une assistance technique aux habitants des zones ou villages reculés qui en ont besoin.
Concrètement, la SODEFITEX et les exploitations familiales signent des accords contractuels mutuellement avantageux. À travers le PIAFFT, la SODEFITEX alphabétise les producteurs en y intégrant formation technique et conseils en matière de gestion et d’accroissement de la productivité de leur exploitation. En retour, les exploitations familiales lui fournissent du coton et des graines de haute qualité à des prix négociés avant le semis, contre engagement d’achat de sa part, avec quelques exceptions concernant la production céréalière.
Structure et contenu du programme
Le programme comporte deux phases de formation : cours d’alphabétisation fonctionnelle et cours de formation technique.
Phase 1 : Cours d’alphabétisation fonctionnelle
Le cours d’alphabétisation fonctionnelle initie les apprenants à la lecture, à l’écriture et au calcul en langue maternelle (pulaar, mandingue ou wolof). Il se déroule en 10 semaines (environ 400 heures) d’alphabétisation, à raison de cinq jours par semaine et de huit heures par jour (généralement de janvier à mars). Cette phase permet à l’apprenant de bien maîtriser la lecture et l’écriture et de s’initier à la prise de notes, à l’arithmétique (les quatre opérations mathématiques de base, les pourcentages, la règle de trois5, la résolution de problèmes simples) et à la comptabilité simplifiée. Les thèmes abordés en sessions d’apprentissage s’articulent autour des principaux domaines d’activités des apprenants, tels que les activités agricoles, mais aussi des types de connaissances pratiques qui leur seront utiles pour la vie courante, telles que la conscience citoyenne, les mesures préventives en matière d’utilisation des pesticides et l’hygiène. En outre, l’offre de formation aborde d’autres thèmes importants, parmi lesquels l’alphabétisation et le développement rural, l’alphabétisation comme moyen d’assurer l’indépendance financière, l’alphabétisation dans un contexte multilingue, l’alphabétisation pour l’apprentissage tout au long de la vie et l’alphabétisation pour le développement durable.
Les cours d’alphabétisation se tiennent généralement dans le village-centre qui polarise les villages environnants de même langue nationale (10 à 20 villages). Depuis 2014, les apprenants sont hébergés sur site pendant la formation. Parallèlement aux cours d’alphabétisation, d’autres activités d’apprentissage identifiées par chacune des organisations communautaires de base et des exploitations agricoles familiales sont menées en utilisant des supports conçus par les formateurs et les apprenants. Ces activités d’apprentissage tournent autour de thèmes tels que la gestion de trésorerie, l’enregistrement de données, la tenue d'un bilan de campagne, la gestion des flux financiers, la planification économique, ainsi que la déclaration, la réunion, l’organisation et la structuration des OP6, la rédaction de procès-verbaux de réunions, la gestion de crédits, etc.
Phase 2 : Cours de formation technique
Les résultats d’apprentissage sont évalués à l’achèvement de la phase d’alphabétisation, qui est immédiatement suivie de la seconde phase : les cours de formation technique en internat. Cette phase dure quatre semaines (120 à 150 heures) et prend en charge les néo-alphabètes qui ont achevé avec succès la première phase du programme. Elle est encadrée par les experts de la SODEFITEX et des structures telles que l’Institut national de pédologie et la Caisse nationale de crédit agricole.
L’offre de formation technique et professionnelle inclut des composantes axées sur la connaissance des aspects organisationnel et fonctionnel de la production agricole, la polyculture et la gestion des cultures, ainsi que la collecte et l’analyse de données pluviométriques. Le savoir-faire et le savoir techniques acquis au cours de cette phase permettent aux apprenants d’analyser la rentabilité économique et financière de leurs activités et d’adopter des pratiques de production durables axées sur la protection de l’environnement et la mise en œuvre des mesures de toxicovigilance.
Approches et méthodes
Le processus d’alphabétisation insiste fortement sur l’acquisition de compétences. Entre autres méthodes d’enseignement, une pédagogie de l’intégration est appliquée tout au long du processus d’enseignement-apprentissage. L’approche intégratrice encourage enseignants et apprenants à faire le lien entre les curricula et les contenus d’apprentissage en vue de parvenir à une compréhension et à une résolution interdisciplinaires des problèmes de l’heure (Huber et al., 2005). Elle crée intentionnellement des liens entre l’apprentissage de l’écriture, de la lecture et du calcul et le métier et la vie des apprenants pour rendre l’apprentissage plus sensé et intéressant à leurs yeux.
La Figure 2présente un exemple d’un processus d’enseignement fondé sur l’approche expérientielle de l’apprentissage. Les cinq séquences couvertes lors d'une session illustrent cette approche : pour la première étape, les apprenants identifient les thèmes/problèmes à résoudre à partir d’une analyse de leur situation ; lors de la deuxième, ils analysent et examinent ce qui a été fait et vécu en lisant les supports pertinents et en partageant leurs connaissances et idées ; pour la troisième, les apprenants étudient les solutions éventuelles à leurs problèmes ; lors de la quatrième, ils planifient des actions concrètes en mettant en application les compétences et connaissances (prise de notes, résolution de problèmes mathématiques, schématisation, utilisation des ressources disponibles sur le marché, etc.) acquises lors des sessions actuelle ou antérieures ; pour la cinquième, les apprenants procèdent à une auto-évaluation ou à l’évaluation des compétences acquises lors de la formation. Le processus reflète les principes de la Théorie d’apprentissage expérientiel, qui reconnaît le grand apport bénéfique potentiel des expériences des apprenants dans leur apprentissage. En matière d’alphabétisation, le processus de planification et d’enseignement des compétences est fortement influencé par le cycle d’apprentissage expérientiel, qui inclut l’expérience concrète, l’observation réflective, la conceptualisation abstraite et l’expérimentation active (UOL, 2020).
La phase de formation technique emploie une approche par les compétences, qui place l’acquisition et la mise en application de compétences et de connaissances avérées au cœur du processus éducatif (Johnstone et Soares, 2014). Concrètement, grâce au PIAFFT, elle identifie les compétences ou connaissances attendues des apprenants à travers une évaluation des capacités institutionnelles et organisationnelles dans le contexte des groupements de producteurs et des exploitations agricoles familiales. Ensuite, l’on développe et réécrit le curriculum de formation professionnelle pour combler les lacunes des apprenants afin de les rendre aptes à améliorer la qualité de leurs produits agricoles ainsi que les pratiques de leurs communautés paysannes.
Ici, l’approche éducative par les compétences (APC) offre un avantage manifeste : elle réoriente le processus éducatif vers la maîtrise avérée et l’application de connaissances et de compétences de la vie réelle, créant ainsi une passerelle entre le système académique et les employeurs et entraînant une meilleure compréhension des connaissances et compétences dont l’élève a besoin pour réussir au travail et dans la vie.
Curriculum et supports d'enseignement
Les cours d’alphabétisation de la Phase 1 reposent sur le Curriculum de l’éducation de base (CEB) élaboré par le ministère de l’Éducation de base pour les besoins généraux de l’alphabétisation des adultes. Ce curriculum inclut l’alphabétisation en langues nationales et a été au cœur des programmes d’alphabétisation des adultes depuis l’adoption du Plan décennal de développement de l’éducation de base défini par le ministère de l'Éducation.
Des supports supplémentaires de formation ont été élaborés par l’équipe d’alphabétisation et de communication rurale de BAMTAARE Services. Pour les besoins de la formation, l’équipe produit les supports suivants : manuels d’alphabétisation (lecture, arithmétique) ; guides de l’instructeur et du superviseur ; normes de formation ; et modules de formation. Elle produit également d’autres supports de formation, ainsi que des outils et ressources pour collecter des données, tenir une classe, créer des pictogrammes, préparer des fiches techniques, etc. Les supports et outils d’apprentissage sont adaptés au contexte et aux besoins des groupes cibles et rédigés en pulaar, mandingue et wolof comme l’indique la Figure 3, qui en présente un échantillon.
Les cours de formation technique de la Phase 2 reposent sur les curricula développés par la SODEFITEX avec le soutien technique de la Direction nationale de la formation professionnelle. Pour ce faire, le curriculum d’enseignement professionnel existant a été réadapté en appliquant l’approche par les compétences présentée dans la section précédente. Ce, conformément à la nouvelle réforme relative à l’orientation stratégique du sous-secteur de la formation professionnelle et technique. L’adaptation du curriculum standard d’enseignement professionnel sera guidée par les compétences attendues au terme des différents types de formation technique. Les Tableaux 1 et 2 présentent des exemples de compétences attendues à l’issue des cours de formation technique des relais en production végétale et des chefs de culture.
Tableau 1 : Grille de compétences pour les relais techniques en production végétale.
Numéro | DESCRIPTION |
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1 | Effectuer les tâches et les rôles des relais techniques en production végétale. |
2 | Clarifier l’organisation et le fonctionnement des chaînes de production au niveau national. |
3 | Gérer les crédits agricoles accordés aux paysans. |
4 | Appliquer les concepts relatifs à la fertilisation et au compost organique. |
5 | Appliquer les pratiques de gestion de la culture cotonnière. |
6 | Appliquer les pratiques de gestion des cultures de maïs, de riz et d’arachides. |
7 | Identifier les statistiques agricoles. |
8 | Entretenir et réparer le matériel phytosanitaire et agricole. |
9 | Communiquer dans un contexte professionnel. |
Source : Compilé par les auteurs à partir d’informations obtenues auprès de la SODEFITEX.
Tableau 2 : Grille de compétences pour les chefs de culture.
Numéro | DESCRIPTION |
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1 | Effectuer les tâches et les rôles des chefs de culture. |
2 | Appliquer les concepts relatifs à la fertilisation et au compost organique. |
3 | Appliquer les pratiques de gestion de la culture cotonnière. |
4 | Appliquer les pratiques de gestion des cultures de maïs, de riz et d’arachides. |
5 | Planifier les activités agricoles. |
6 | Créer des comptes d’exploitation agricole pour les paysans. |
7 | Entretenir et réparer le matériel phytosanitaire et agricole. |
8 | Communiquer dans un contexte professionnel. |
Source: Compilé par les auteurs à partir d’informations obtenues auprès de la SODEFITEX.
Recrutement et formation des animateurs
Au lieu de deux sessions distinctes d’alphabétisation et de formation professionnelle beaucoup plus coûteuses, une nouvelle approche a été adoptée, avec un cours principal d’alphabétisation fonctionnelle suivi immédiatement d’un cours résidentiel qui propose une formation professionnelle et technique spécialisée.
Les animateurs du programme sont recrutés parmi un pool d’anciens apprenants, qui compte à ce jour autour de 350 alphabétiseurs et superviseurs. Chaque année, le programme puise dans ce réservoir en fonction du nombre de cours proposés. Le plus souvent, les futurs animateurs sont des sortants des cohortes antérieures du programme d’alphabétisation ou d’autres néo-alphabètes titulaires d’un diplôme attestant leur niveau d’alphabétisme dans une des langues nationales. Ils sont sélectionnés sur la base de leur profil et admis après une série de tests d’aptitude. Ensuite, ils subissent trois semaines de formation animée par une équipe pédagogique composée d’animateurs expérimentés et de gestionnaires de programme d’alphabétisme justifiant de compétences avérées dans les domaines suivants : éducation des adultes, techniques de présentation, connaissance des thèmes liés au quotidien des apprenants, expertise linguistique, règles grammaticales des langues locales, phonétique, documents relatifs à la tenue d’une classe, etc. Par la suite, ils deviennent des prestataires indépendants, payés pour encadrer à temps partiel des classes de 25 à 30 apprenants.
Chaque année, un stage de mise à niveau d’une semaine est organisée pour renforcer les acquis des différents animateurs et superviseurs tout en les initiant à des pratiques d’éducation des adultes innovantes leur permettant de travailler plus efficacement sur le terrain. Cette période de formation leur permet également de consolider leur connaissance des nouvelles méthodes et approches, en particulier en matière de compétences d’alphabétisation intégratrice et de méthodes d’enseignement ; de l’intégration des résultats d’apprentissage ; des évaluations pédagogiques et mesures correctives ; des fiches d’éducation des adultes ; et de certains points de grammaire de leur langue d’enseignement.
Le programme décerne des certificats de formation continue aux animateurs qui achèvent la formation, mais aussi à la fin de chaque stage de mise à niveau. Par la suite, et par dessus tout, le programme veille à ce que le nombre d’animateurs employés corresponde à celui des classes d’alphabétisation disponibles, qui varie d’année en année en fonction des allocations budgétaires. Enfin, les animateurs sont affectés dans des localités susceptibles d’abriter plusieurs classes et placés sous la responsabilité d’un superviseur.
Recrutement des apprenants
Le choix des apprenants repose sur des critères spécifiques, dont les principaux sont l’âge, leur bonne réputation au sein de leur communauté, l’accord du groupement de producteurs, du village ou du chef d’exploitation, leur statut de producteur et la superficie de leur exploitation en fonction des corps de métier sélectionnés au départ. En plus de ces critères, les candidats justifiant d’une formation antérieure (quels que soient le niveau et la langue) sont avantagés. Les effectifs moyens, pour les deux phases, sont de 30 apprenants par animateur.
Par ailleurs, les producteurs agricoles, les chefs de village et les chefs d’exploitation aussi recommandent des apprenants potentiels, en respectant les critères d’éligibilité et les profils de candidat des métiers sélectionnés. L’inscription est gratuite.
Évaluation des résultats d’apprentissage
À l’issue de la phase d’alphabétisation, les apprenants subissent une évaluation notée sur 40 en lecture et écriture et sur 20 en arithmétique. Il faut obtenir une moyenne de 12/20 pour passer. Une évaluation formative à mi-parcours est organisée pour aider les apprenants qui en auraient besoin. Une fois qu’ils ont achevé avec succès la phase d’alphabétisation, les apprenants reçoivent une attestation reconnue par l'État.
La principale innovation qu’apporte le programme réside dans la collaboration active de la SODEFITEX avec la Direction de l’alphabétisation et des langues nationales du Sénégal pour la certification de ses cours d’alphabétisation fonctionnelle en langues nationales sur la base des acquis en lecture, écriture et calcul. Des dispositions pour la certification de la formation technique en langues nationales sont en cours de finalisation par les services du ministère de la Formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’artisanat en vue de rendre les apprenants éligibles au financement public.
Suivi et évaluation
Le programme effectue des analyses opérationnelles périodiques pour suivre la pertinence et l’efficacité technique de son offre de formation. Ce faisant, il répond aux besoins changeants des apprenants et s’adapte aux changements de stratégies de production et de plans d’innovation. Le plus souvent, ces analyses débouchent sur des propositions de nouvelles directives du programme et des améliorations du système de formation en cours.
Une autre évaluation pratique intervient après une certaine période pour suivre l’efficacité technique et la pertinence sociale de la formation professionnelle à la base dirigée par la SODEFITEX. Elle s’appuie sur les expériences et pratiques d’individus ayant reçu cette formation et vise à proposer des solutions qui permettront d’améliorer le programme.
Des attestations sanctionnent les compétences acquises au terme des phases d’alphabétisation et de formation technique. Ces attestations revêtent une grande importance dans le sud du Sénégal et garantissent au titulaire un emploi d’agent qualifié en cas de recrutement par un groupement de producteurs, une exploitation agricole, une ONG ou un programme de développement local.
Impact et défis
Réalisations
Une fois leur formation achevée, environ 90% des apprenants sont recrutés par les groupements de producteurs de leurs villages. Depuis le démarrage du programme, plus de 63.735 participants ruraux, dont 15.032 femmes, ont bénéficié des cours d’alphabétisation de la SODEFITEX. Ce chiffre inclut 40 alphabétiseurs et superviseurs, 1.647 relais techniques en production végétale, 600 relais techniques en production animale, 72 chefs de culture, 58 chefs d’exploitation et 18 conseillers agricoles choisis parmi les meilleurs relais techniques.
Concernant l’alphabétisme, le programme a eu un impact mesurable, et les statistiques de formation indiquent que les acquis des apprenants sont restés stables dans le temps. En 2016, par exemple, les apprenants avaient une note moyenne par compétence de 89,6% en lecture et de 82% en écriture. Deux ans plus tard, en 2018, la note moyenne était de 83,55% pour la lecture et de 83,5% pour l’écriture. Enfin, en 2019, elle était de 89,6% pour la lecture et de 90% pour l’écriture.
Le programme a renforcé la confiance des apprenants en leurs aptitudes et talents et les a dotés de compétences en communication, analyse et résolution de problèmes. En outre, il a permis aux producteurs sous contrat avec la SODEFITEX d’améliorer leur productivité agricole et d’accroître leurs revenus. Par exemple, des compétences et des connaissances telles que les méthodes pour récolter à temps, les bonnes pratiques de séchage et de stockage, la productivité des champs de coton et la diversification des cultures (riz, maïs, arachide), aident les apprenants à mieux maîtriser la qualité de leur production agricole. Ainsi, ils savent identifier les contraintes techniques et économiques à la productivité de leur exploitation et utiliser les outils de planification agricole, adopter les techniques de lutte contre l’érosion des sols, appliquer les procédures de fertilisation organique, gérer les prêts et les outils de collecte de données, pratiquer la toxicovigilance, lutter contre les ravageurs par des moyens écologiques (valeurs seuil) et tirer parti des techniques modernes pour mesurer la superficie de leur champ de maïs à l’aide d’un GPS (géo-référencement).
Témoignages
Je m’appelle Ousmane Kambassé Kandé. Je suis alphabétiseur, et j’habite à un kilomètre du centre agricole de Pakour. J’ai suivi les cours d’alphabétisation durant la campagne 1982–1983. De 1991 à 1995, j’étais alphabétiseur en langue pulaar. Depuis 1996, je suis superviseur du programme d’alphabétisation de la SODEFITEX dans la zone de Pakour, où je forme les relais et les gestionnaires du programme de formation de la SODEFITEX. L’alphabétisation est très importante parce que les apprenants sont prêts à utiliser immédiatement leurs acquis, en particulier parce qu’il s’agit d’adultes qui n’ont jamais été scolarisés ou qui ont très tôt quitté l’école. Ousmane Kandé, alphabétiseur et superviseur en langue pulaar .
Il est important pour nous de nous alphabétiser car, en plus de savoir lire des documents en pulaar, l’alphabétisation nous permet d’acquérir les compétences nécessaires pour faire de l’arithmétique. Donc, le but de l’alphabétisation n’est pas juste de devenir un relais. Avant, quand j’avais un livre, je ne faisais que regarder les images. Mais, aujourd’hui, je sais lire et comprendre ce que je lis. Tout cela, grâce aux cours d’alphabétisation de la SODEFITEX. Maintenant, je sais mesurer la quantité exacte des produits à utiliser pour chaque parcelle de culture. Quand j’ai un sac de riz, je sais mesurer un kilo de riz, ce qui me permet de calculer la quantité qu’il me faut, combien il me reste, etc. Ibrahima Diao, participant, cours d’alphabétisation en pulaar, 2019.
Prix et récompenses
- Lauréat du Prix d’alphabétisation UNESCO-Roi Sejong (2019).
- Validation des nouveaux curricula du programme de formation par la Direction de la formation professionnelle et technique du ministère de l’Emploi, de la formation professionnelle et de l’artisanat (2019).
- Bénéficiaire de l’appui financier de l’IIEP–UNESCO Dakar, l’antenne africaine de l’Institut international de planification de l’éducation, alloué dans le cadre du fonds d’appui à l’innovation en matière de formation professionnelle (2017).
- Reconnaissance officielle du programme par la Commission de la Jeunesse, de l’éducation, de la formation, de l’emploi et du travail du Conseil économique, social et environnementale de la République du Sénégal (2017).
- la SODEFITEX parvient chaque année à mettre de côté les ressources nécessaires pour poursuivre le programme sur fonds propres ;
- les producteurs qui sélectionnent eux-mêmes les apprenants les plus motivés et les plus aptes à recevoir une formation et à garantir ainsi l’avenir du programme.
Défis
Plusieurs facteurs continuent d’entraver les efforts en cours et de limiter de façon significative la portée et les performances du programme. Il s’agit, entre autres, de l’absence de financement stable et adéquat du programme, qui ne reçoit aucun appui financier de l’État, mais aussi de l’absence de partenaires techniques et financiers depuis 2009.
Il s’y ajoute que le ministère de l’Emploi, de la formation professionnelle et de l’apprentissage n’a toujours pas validé les curricula de formation technique en langues nationales du programme, bien qu’il soit de son ressort de certifier ce modèle innovant d’intégration alphabétisation-formation technique et de rendre, de ce fait, le programme éligible au financement public.
Pérennité
Ce programme, mis en place à travers divers projets publics, existe depuis 37 ans. Depuis le retrait du financement extérieur en 2009, il dépend essentiellement de la production et des ressources annuelles de l’entreprise. Son succès peut être exclusivement attribué aux facteurs suivants:
Les apprenants et les communautés bénéficiaires contribuent à la pérennité du programme. Par exemple, certains villages accueillent des cours d’alphabétisation et contribuent en nature en construisant des abris et des logements pour les apprenants venus d’ailleurs.
La mise en œuvre de ce modèle à l’échelle nationale dans un avenir proche donnerait un grand coup de fouet à l’économie et à la productivité des métiers traditionnels du secteur informel. Une telle généralisation permettrait au gouvernement de passer d’une vision fragmentaire du capital humain à une vision holistique de l’éducation et de la formation, en particulier pour les populations rurales.
Sources
Huber, M. T., Hutchings, P. and Gale, R. 2005. Integrative learning for liberal education. peerReview, Été/Automne, 7(3/4). Disponible sur : https://www.aacu.org/publications-research/periodicals/integrative-learning-liberal-education[ consulté le 24 juin 2020].
Johnstone, S M. and Soares, L. 2014. Principles for developing competency-based education programs. Change: The Magazine of Higher Learning, 46 (2), pp.12–19. Disponible sur: https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00091383.2014.896705 [consulté le 16 juin 2020].
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4. PAM (Programme alimentaire mondial). 2018. Plan stratégique de pays – Sénégal (2019–2023). Disponible sur : https://docs.wfp.org/api/documents/5b0e7061163e4ba98d6348b150e588e2/download [consulté le 16 juin 2020]
1. Pour en savoir plus sur ces domaines prioritaires, veuillez consulter le site https://www.borgenmagazine.com/progress-senegalese-education/. [consulté le 19 juin 2020] ↩
2. Le terme « stock » renvoie aux enfants ayant dépassé l’âge scolaire qui n’ont pas pu achever les études ou ont dû abandonner. Ces enfants ne sont pas scolarisés à cause de leur âge et sont souvent trop âgés pour suivre le cursus scolaire formel classique. Il est essentiel, pour la planification et le service, d’offrir une éducation non formelle à ce groupe d’âge (UNESCO IIEP–Pôle de Dakar, UNICEF, Banque mondiale et GPE, 2014). ↩
3. Voir https://tradingeconomics.com/senegal/unemployment-rate [consulté le 24 juin 2020]. ↩
4. Créée en 1974 sous forme de société anonyme, l’entreprise a été privatisée en 2003. ↩
La « règle de trois » est une règle mathématique permettant de résoudre un problème sur la base des proportions. Pour plus d’informations, veuillez consulter le site http://www.mathspadilla.com/2ESO/Unit4-ProportionalityAndPercentages/rules_of_three.html [consulté le 24 juin 2020]. ↩
6. Les organisations de producteurs (OP) ou les groupements d’organisations de producteurs (GOP) aident les producteurs à réduire les coûts de transaction et à collaborer lors de la transformation et de la commercialisation de leurs produits. Pour plus d’informations, veuillez consulter le site https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/key-policies/common-agricultural-policy/market-measures/agri-food-supply-chain/producer-and-interbranch-organisations_en [consulté le 23 juillet 2020]. ↩
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Responsable du service Formation et innovations
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